[Numérisation] Les livres d'heures de l'Institut de France
Au cours de l’année 2025, qui a vu le domaine de Chantilly consacrer une exposition aux Très Riches Heures du duc de Berry, accompagnée par la présentation d’autres livres d’heures conservés par le musée Condé, le portail des bibliothèques numériques de l’Institut de France a publié la reproduction intégrale en haute définition d’une soixantaine d’exemplaires conservés pour leur part auprès des bibliothèques Mazarine, de l’Institut de France, du Musée Jacquemart André et de la Fondation Thiers. Joyaux enluminés des collections de l’Institut, les Heures de Charles de France (Mazarine, ms. 473), les Heures Mazarine (ms. 469), les Heures Boucicaut (MJAP-Ms. 1311) et celles de Jeanne de Savoie (MJAP-Ms. 1312) y côtoient d’autres manuscrits plus modestes mais tout autant intéressants pour l’amateur d’art, l’historien du texte et de la liturgie.
Derrière une trompeuse uniformité de façade, les livres de dévotion privée des XIVe-XVIe siècle rassemblés dans le présent corpus révèlent en effet une diversité de contenu qui permet d’accéder de plain pied au sentiment religieux d’une époque où la prière accompagnait le quotidien dans l’intimité du foyer, du logis canonial ou de la cellule monastique. Pour les laïcs, détenir pareil ouvrage était assurément un marqueur social et un privilège, que les familles s’efforçaient de transmettre à leurs héritiers – en attestent nombre de mentions de provenance disséminées au fil des pages. À travers les exemplaires numérisés se dessine également une géographie parcellaire des usages ecclésiastiques des anciennes provinces du royaume, jusqu’à ses marges orientales et septentrionales. Le Nord, le Nord-Ouest (Normandie, Bretagne) le Centre et l’Est de l’ancienne France sont les mieux représentés, comme souvent dans les collections publiques nationales.
De très belles pages sont à redécouvrir, telles les peintures en grisaille d’Heures à l’usage d’Utrecht (Mazarine, ms. 500, f. 48v : Adoration des Mages), les marges facétieuses d’un livre d’heures à l’usage de Rome (ms. 502), la descente de l’Esprit saint sur Marie et les Apôtres lors de la Pentecôte, une scène empreinte d’une douce ferveur représentée dans des Heures à l’usage de Troyes (ms. 511, f. 143) ou encore dans celles à l’usage de Paris illustrées par le Maître de Luçon (ms. 491, f. 112), un artiste qui travailla pour les princes des fleurs de lys vers 1400. Quelques pépites inattendues jalonnent ce panorama, comme ces Heures à l’usage des Célestins où, au début des Psaumes de la pénitence, un ange et un chat diabolique s’affrontent pour emporter l’âme du défunt, dans une mise en scène à la fois naïve et explicite (ms. 475, f. 101). Le fonds du collectionneur Paul Faralicq (1868-1956) abrite aussi six manuscrits relativement méconnus des Heures (Faralicq 5, f. 82 : le carme sicilien Albert de Messine, canonisé en 1476. Le saint confesseur foule au pied une créature féminine cornue). Les gardes et jusqu’aux contreplats de reliure de plusieurs d’entre eux, transformés en livres de raison par leurs propriétaires successifs, gratifient le spectateur ou le lecteur d’aujourd’hui de ce petit supplément d’âme qu’ajoute au plaisir esthétique et savant le témoignage émouvant de vies passées.






